Je
tremble de tous mes membres ! Il est là, devant moi, mon idole
est là ! Bakary est déjà sorti du 4x4. Quant à moi, je suis
comme paralysé, pétrifié. Que fait-il ici ? Comment me
comporter face à lui ? Je me décide enfin à ouvrir la
portière, sans savoir si mes jambes réussiront à me porter une
fois dehors. Je prends une grande respiration et m'avance vers la
concession. Mon grand-père vient à ma rencontre le premier. Le
mélange de joie et d'angoisse que je ressentais il y a encore
quelques minutes à l'idée de le retrouver, tout cela a disparu. Je
l'embrasse, prend des nouvelles de sa santé, de la famille, mais à
vrai dire, je n'écoute pas ses réponses, tant mon esprit et mon
regard sont ailleurs, tournés vers l'homme qui se tient là, à
quelques mètres de moi.
Il
s'approche de moi et me tend la main :
« Bonjour
Junior, enchanté de te rencontrer.
-
Bon...Bonjour M. Vieira. Enchanté ! Je suis tellement
honoré de vous rencontrer. »
Je
savais que mon grand-père connaissait Patrick Vieira, tout comme mon
père d'ailleurs. Mais comment aurais-je pu imaginer le rencontrer
ici un jour ? Je peine à me remettre de mes émotions.
Nous
nous installons sous le manguier, les petits-enfants de mon
grand-père nous apportent le traditionnel attaya, le thé
sénégalais, et nous entamons les palabres. Pendant une bonne
trentaine de minutes, nous parlons de tout et de rien : du
Sénégal, ce pays que nous avons quitté très tôt Patrick et moi,
de l'Angleterre, pays dans lequel nous vivons désormais tous les
deux, lui à Manchester, moi à Londres.
Tout
au long de cette discussion, je ne suis obnubilé que par une seule
chose : savoir ce qu'il fait ici, à Coubanao, chez mon
grand-père, dans ce village perdu de Casamance. Et c'est après
cette demi-heure de palabres, alors que nous entamons le 3ème
attaya, qu'il commence à évoquer le sujet.
« Bon,
Junior, tu te demandes sûrement ce que je fais ici.
-
Oui.
-
Alors voilà, avant que ton père ne meurt, siggil ndigalé,
que la terre lui soit légère, nous avions un projet commun. Tu
sais, Junior, ton père aimait profondément son pays et il comptait
y revenir pour lui rendre tout ce qu'il avait pu acquérir durant sa
vie et sa carrière.
-
Oui, je sais qu'il préparait son retour au Sénégal avant que son
AVC ne le frappe.
-
Nous nous étions rencontrés souvent avant son accident, et nous
étions tombés d'accord pour qu'il travaille avec nous à l'institut
Diambars de Saly. Il devait y devenir entraineur-formateur.
-
Je l'ignorais.
-
Junior, ton père est aussi à l'origine d'un autre projet, qui
s’apprête à éclore aujourd'hui.
-
De quoi s'agit-il ?
-
Comme je te l'ai dis, il aimait son pays et souhaitais revenir pour
aider les jeunes Sénégalais. Mais il pensait aussi que l'institut
Diambars devait s'élargir afin de devenir plus efficace.
-
C'est-à-dire ?
-
En fait, avec Tonton Bocandé, ton père, nous projetions d'ouvrir
une section sportive ici en Europe, afin d'offrir des débouchés
potentiels aux joueurs formés au Sénégal et aussi afin de profiter
de l'argent présent dans le monde du football occidental. Junior,
aujourd'hui, cette idée n'est plus à l'état de projet, elle est
sur le point de se concrétiser. Diambars aura désormais un club au
Sénégal et un autre en Europe, les Diambars UK. »
Son
histoire est très intéressante, mais je ne comprends toujours pas
pourquoi il est venu jusqu’ici pour m'en parler. Je ne vais pas
tarder à le savoir.
« Junior,
je vais en venir au but. Ce club verra le jour dès le mois de
juillet prochain, dans la banlieue de Manchester. Si je suis venu
jusqu'ici, c'est pour te proposer de participer au projet. Je sais
que tu vis en Angleterre et que tu viens de terminer ta thèse de
doctorat portant sur l'évolution des structures de formation en
Angleterre depuis l'émergence de l'arrêt Bosman et l'arrivée
massive de footballeurs étrangers dans les championnats anglais. Si
je ne me trompe pas, cette thèse t'a amené à collaborer avec
plusieurs grands clubs dont Arsenal et Manchester United.
-
Oui, c'est vrai.
-
Écoute Junior, c'est simple, je souhaiterais que tu occupes le poste
de Directeur sportif dans la section britannique des Diambars. »
J'ai
peine à croire ce que j'entends. Je me demande s'il est sérieux ou
bien s'il s'agit simplement d'une plaisanterie. Mais je n'ai même
pas le temps de lui poser la question, il poursuit :
« L'objectif
de cette antenne est d'offrir des débouchés au jeunes de l'institut
de Saly, c'est pourquoi j'ai besoin d'une personne comme toi, qui
connaisse le Sénégal et le football sénégalais. Mais, depuis ses
origines, le projet a évolué. Nous avons compris qu'ici aussi, avec
la crise actuelle et le taux de chômage élevé, particulièrement
dans la région de Manchester, le football peut être un vecteur
d'éducation pour les jeunes. Or, tu le sais mieux que moi encore, le
système de formation anglais est en panne. Par ta connaissance de la
formation anglaise, tu es la personne parfaite pour nous aider à
mettre en place un club formateur permettant aux jeunes de la région
de trouver une place dans le football professionnel.
-
Je suis très honoré Patrick, mais je n'ai jamais occupé ce poste
et je n'ai aucune compétence dans ce domaine. Ma carrière dans le
football s'est vite arrêtée alors que j'étais au centre de
formation du RC Lens, et depuis je n'ai entraîné que les équipes
jeunes d'un club amateur de mon quartier, dans le sud de Londres. »
Patrick
semble être bien trop optimiste quant à mes compétences. C'est une
lourde responsabilité qu'il me propose. D'un autre côté, mon père
serait fier de me voir occuper ce poste. En serai-je vraiment
capable ?
« Junior,
je t'assure que ma proposition est sérieuse, je ne serai pas venu
jusqu'ici sinon. Tu connais le milieu du foot, tu connais le Sénégal
aussi bien que l'Angleterre, tu connais le système de formation
britannique, tu es exactement la personne qu'il nous faut. Écoute,
je vais te laisser le temps de te reposer et d'y réfléchir. Moi, je
suis à l'institut de Saly jusqu'au 17 décembre. Je te laisse mon
numéro, s'il te plaît, rappelle-moi dans quelques jours pour me
dire ce que tu penses de mon offre.
-
D'accord, je vais y réfléchir. »
Il
me salua, partit dire au revoir à mon grand-père et repartir
aussitôt, me laissant là, perplexe, perdu, complètement sonné.
« Qu'est-ce
qu'il t'a dit ? Me demande Bakary qui venait de me rejoindre.
-
Il… Je… c'est… tu…. Tu ne me croiras jamais Bakary ... »
Effectivement,
Bakary a eu du mal à me croire. Quant à moi, il m'a fallu plusieurs
jours pour me remettre de cette visite. Mais aujourd'hui, la
perplexité a laissé place à la curiosité. Où Patrick Vieira
compte-t-il implanter son club exactement ? Comment compte-t-il
faire, créer un club de A à Z ? Ou bien a-t-il eu une
proposition pour fusionner avec un club existant ? Dans quelle
compétition sera inscrite l'équipe senior ? Où va-t-il
trouver des joueurs pour la première saison ? Qui sera
l’entraîneur ? Qu'attend-il de moi ? …
Il
faut que je l'appelle pour avoir des réponses. Je ne me sens
toujours pas à la hauteur des espoirs qu'il a placés en moi, je ne
me fais pas d'illusions, mais quelque chose m'attire malgré moi.
Peut-être mon désir profond de me rapprocher de ce que mon père
aurait souhaité que je sois…
« Allô,
Patrick, bonjour, c'est Junior. J'ai bien réfléchi, j'aimerai que
tu m'en dises plus au sujet de ton projet.
-
Bonjour Junior, je suis content que tu m'appelles. Écoute, viens ici
à l'institut, tu pourras voir de plus près notre fonctionnement et
notre philosophie, et je t'expliquerai plus en détail notre projet
Diambars UK. »
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