lundi 23 novembre 2015

Chapitre IV : Le projet

Le lundi 8 décembre, je me rends donc à Saly, une ville située sur la « petite côte », à une soixantaine de kilomètres au sud de Dakar. Cette fois-ci, c'est par un vol intérieur que je me rends sur place. J'en profite donc pour découvrir le Sénégal vu du ciel. A l'approche de Saly, j'aperçois l'institut. Je suis impressionné par la modernité de ce complexe, sans équivalent dans le pays. Nous nous posons à l’aérodrome, situé à tout juste 2 kilomètres de l'institut.











En arrivant au centre, Patrick me reçoit, accompagné de Saer Seck, le président du pôle Sénégal des Diambars, ainsi que Pape Boubacar Gadiaga, le coach de l'équipe. Une fois les salutations traditionnelles effectuées, j'ai le droit à une visite de l'ensemble de l'institut : je découvre les terrains synthétiques, la piscine pour la récupération, les dortoirs hébergeant les pensionnaires…

Nous nous installons ensuite dans le bureau de Saer Seck. Il prend la parole :
- Junior, encore merci d'être venu jusqu'à nous. Nous sommes flattés de l'intérêt que tu portes à notre projet. Comme Patrick a dû te l'expliquer, nous allons agrandir notre pôle Grande-Bretagne en créant un club, les Diambars UK. Il sera situé à Stockport, dans le Grand Manchester. Ce projet a plusieurs missions. Au niveau sportif, il s'agit d'offrir un débouché à nos meilleurs jeunes, afin qu'ils puissent aller s’aguerrir dans le football européen. Cela devrait favoriser leur transfert dans des clubs du Big-5 par la suite, car nous peinons actuellement à exporter nos jeunes. Quelques uns ont bien eu leur chance au LOSC, en particulier Idrissa Gueye que tu connais sûrement. Mais nos autres joueurs, quand ils parviennent à obtenir un contrat en Europe, se retrouvent bien souvent dans des championnats mineurs tels que la Norvège ou la Suisse.

- Pourquoi avez-vous choisi l'Angleterre ?

- Nous avons longuement réfléchi et prospecté, tu t'en doutes. La France peut sembler être une destination plus indiquée pour les Sénégalais, et nous avons donc un temps envisagé de nous implanter à Paris. Mais, nous souhaitions que notre projet soit utile aux jeunes Européens également. Or, la formation française se porte bien, ce qui est loin d'être le cas de la formation anglaise comme tu le sais. Les derniers rapports de l'Observatoire du Football montrent une nouvelle fois que les jeunes issus des centres de formation anglais ont de moins en moins leur chance dans leur club formateur. La formation anglaise est en panne, les clubs de Premier League attirent beaucoup d'expatriés. Les résultats de l'équipe nationale s'en ressentent. Nous souhaitons relancer, à notre niveau, la formation britannique.

- C'est aussi le championnat qui génère le plus d'argent, grâce aux droits TV notamment.

- Tu as raison, et cela a également influencé notre décision. Nous espérons pouvoir faire progresser notre club et profiter de ces sources de revenus. Cet argent sera ensuite réinjecté en partie au Sénégal afin de moderniser l'institut. Dans un premier temps, nous prévoyons qu'environ 50 000 € par an soient transférés des Diambars UK vers les l'institut de Saly. Cela sera bien sûr évolutif.

- C'est très ambitieux, car le foot anglais est très compétitif même dans les divisions inférieures…

- Nous sommes ambitieux et optimistes. Mais il est clair que nous n'avons que très peu de revenus et que nous n'aspirons pas à devenir un club multi-milliardaire comme City ou United. Nous nous efforcerons donc d'appliquer les principes du Money-Ball. Tu connais cette philosophie ?

- Oui, un peu. Il s'agit de ce club de base-ball des A's d'Atlanta, qui, avec peu d'argent est parvenu à rivaliser avec les plus fortunés en se basant sur un recrutement le plus objectif possible. Si je ne me trompe pas, le manager général du club a fait appel à un spécialiste afin d'analyser les joueurs sur des critères exhaustifs et objectifs. Ils ont ainsi réussi à attirer des joueurs sous-cotés, dont les autres clubs ne voulaient pas pour des raisons très subjectives.

- Oui, ça c'est la philosophie d'origine. En élargissant le concept, il s'agira pour nous de recruter le moins possible en ciblant le plus exactement possible nos recrues. Nous devrons aussi surveiller très étroitement toutes les dépenses, à commencer par la masse salariale. Tous les bénéfices générés seront alloués en priorité à la formation et à l'encadrement des jeunes du club.

- Les contraintes sont importantes, mais comment être sûr de générer suffisamment de profits ?

- Nous n'avons pas choisi la ville de Stockport par hasard. En fait, nous prospections dans le Grand Manchester et dans la banlieue de Birmingham. Ce sont deux grands réservoirs de jeunes joueurs. Au final, nous avons eu une opportunité très intéressante à Stockport. Le club local de Stockport County allait mal depuis des années, avec des changements de propriétaires successifs. Le club a sombré jusqu'en Ligue Nationale Nord, la sixième division, alors qu'il se trouvait en 2ème division dans les années 90. Le président actuel ne souhaite pas poursuivre l'aventure. Nous l'avons contacté et avons réussi à trouver un arrangement. Le club possède un stade de plus de 10 000 places et plus de 2 000 fidèles abonnés. Actuellement, il y a une moyenne de 2 500 spectateurs lors de leur matchs à Edgeley Park, leur stade. Le prix moyen des abonnements étant de plus de 300 € et le prix moyen des places aux alentours de 21 €, cela constituera notre principale source de revenus.

- Cela me paraît intéressant. Quels seraient nos objectifs pour les 5 premières années ?

- Premièrement, il s'agira bien sûr d'assurer la pérennité financière du club. Ensuite, nous envisageons de faire monter le club en Ligue Nationale, la 5ème division, dans un horizon de deux ans. D'ici la 5ème saison, nous espérons réussir à placer l'équipe en League Two, la 4ème division, en passant du statut semi-pro au statu professionnel. Oui, je ne t'ai pas précisé que nous devrons débuter avec un statut semi-professionnel.

- Et quels sont les objectifs à long terme ?

- Nous nous donnons 15 saisons pour accéder à la Premier League. C'est ambitieux mais jouable avec une gestion sérieuse du club. A partir de là, nous nous fixerons pour but de devenir le meilleur club formateur du Big-5, notre rêve étant de former des joueurs pour les plus grands clubs et pour les sélections anglaise et sénégalaise. Durant notre progression, nous envisageons aussi d'élargir nos partenariats avec d'autres clubs formateurs en Afrique.

- Si je comprends bien votre philosophie, les objectifs sportifs ne sont pas des finalités mais des moyens au service de la formation…

- Exactement. Il est évident que nous ne pourrons atteindre notre mission de formation qu'en étant de plus en plus compétitifs sportivement.

- Et quel sera mon rôle dans tout ça ?

- En tant que directeur sportif, tu seras chargé du recrutement et de la formation. Tu veilleras à l'équilibre financier du club. Tu travailleras en étroite collaboration avec le futur coach.

- Et qui sera le coach ?

- Rien de définitif pour le moment. Mais nous avons contacté plusieurs anciens internationaux sénégalais qui connaissent bien le foot anglais. Pat' bosse sur le dossier actuellement.

- Le projet semble alléchant ! Je pense que je vais poursuivre ma réflexion en intégrant tous les éléments que vous venez de me fournir.



En quittant l'institut pour rejoindre la chambre d'hôtel que j'ai réservée en centre-ville, je fais le bilan de l'entretien, et je constate rapidement que ma décision est nette. Je ne peux pas rater l'occasion de participer à un projet comme celui-ci.

Dès le lendemain, je retourne donc à l'institut pour confirmer mon engagement auprès de Pat' et de Saer. Ils sont ravis de ma décision. Nous mettons donc en place l'échéancier afin de préparer notre prise de fonction du club dès la fin de la saison en cours. Nous décidons de nous rendre à Stockport dès le mois de février afin de rencontrer le président et annoncer nos intentions pour notre prise de fonction : changement de nom du club, nouveaux maillots … Le planning s'annonce chargé si nous souhaitons être opérationnels pour la saison 2015/2016.


Au boulot !!!

dimanche 22 novembre 2015

Chapitre III : Un nouvel élan ?

 Je tremble de tous mes membres ! Il est là, devant moi, mon idole est là ! Bakary est déjà sorti du 4x4. Quant à moi, je suis comme paralysé, pétrifié. Que fait-il ici ? Comment me comporter face à lui ? Je me décide enfin à ouvrir la portière, sans savoir si mes jambes réussiront à me porter une fois dehors. Je prends une grande respiration et m'avance vers la concession. Mon grand-père vient à ma rencontre le premier. Le mélange de joie et d'angoisse que je ressentais il y a encore quelques minutes à l'idée de le retrouver, tout cela a disparu. Je l'embrasse, prend des nouvelles de sa santé, de la famille, mais à vrai dire, je n'écoute pas ses réponses, tant mon esprit et mon regard sont ailleurs, tournés vers l'homme qui se tient là, à quelques mètres de moi.

Il s'approche de moi et me tend la main :
« Bonjour Junior, enchanté de te rencontrer.
- Bon...Bonjour M. Vieira. Enchanté ! Je suis tellement honoré de vous rencontrer. »

Je savais que mon grand-père connaissait Patrick Vieira, tout comme mon père d'ailleurs. Mais comment aurais-je pu imaginer le rencontrer ici un jour ? Je peine à me remettre de mes émotions.

Nous nous installons sous le manguier, les petits-enfants de mon grand-père nous apportent le traditionnel attaya, le thé sénégalais, et nous entamons les palabres. Pendant une bonne trentaine de minutes, nous parlons de tout et de rien : du Sénégal, ce pays que nous avons quitté très tôt Patrick et moi, de l'Angleterre, pays dans lequel nous vivons désormais tous les deux, lui à Manchester, moi à Londres.

Tout au long de cette discussion, je ne suis obnubilé que par une seule chose : savoir ce qu'il fait ici, à Coubanao, chez mon grand-père, dans ce village perdu de Casamance. Et c'est après cette demi-heure de palabres, alors que nous entamons le 3ème attaya, qu'il commence à évoquer le sujet.
« Bon, Junior, tu te demandes sûrement ce que je fais ici.
- Oui.
- Alors voilà, avant que ton père ne meurt, siggil ndigalé, que la terre lui soit légère, nous avions un projet commun. Tu sais, Junior, ton père aimait profondément son pays et il comptait y revenir pour lui rendre tout ce qu'il avait pu acquérir durant sa vie et sa carrière.
- Oui, je sais qu'il préparait son retour au Sénégal avant que son AVC ne le frappe.
- Nous nous étions rencontrés souvent avant son accident, et nous étions tombés d'accord pour qu'il travaille avec nous à l'institut Diambars de Saly. Il devait y devenir entraineur-formateur.
- Je l'ignorais.
- Junior, ton père est aussi à l'origine d'un autre projet, qui s’apprête à éclore aujourd'hui.
- De quoi s'agit-il ?
- Comme je te l'ai dis, il aimait son pays et souhaitais revenir pour aider les jeunes Sénégalais. Mais il pensait aussi que l'institut Diambars devait s'élargir afin de devenir plus efficace.
- C'est-à-dire ?
- En fait, avec Tonton Bocandé, ton père, nous projetions d'ouvrir une section sportive ici en Europe, afin d'offrir des débouchés potentiels aux joueurs formés au Sénégal et aussi afin de profiter de l'argent présent dans le monde du football occidental. Junior, aujourd'hui, cette idée n'est plus à l'état de projet, elle est sur le point de se concrétiser. Diambars aura désormais un club au Sénégal et un autre en Europe, les Diambars UK. »

Son histoire est très intéressante, mais je ne comprends toujours pas pourquoi il est venu jusqu’ici pour m'en parler. Je ne vais pas tarder à le savoir.

« Junior, je vais en venir au but. Ce club verra le jour dès le mois de juillet prochain, dans la banlieue de Manchester. Si je suis venu jusqu'ici, c'est pour te proposer de participer au projet. Je sais que tu vis en Angleterre et que tu viens de terminer ta thèse de doctorat portant sur l'évolution des structures de formation en Angleterre depuis l'émergence de l'arrêt Bosman et l'arrivée massive de footballeurs étrangers dans les championnats anglais. Si je ne me trompe pas, cette thèse t'a amené à collaborer avec plusieurs grands clubs dont Arsenal et Manchester United.
- Oui, c'est vrai.
- Écoute Junior, c'est simple, je souhaiterais que tu occupes le poste de Directeur sportif dans la section britannique des Diambars. »

J'ai peine à croire ce que j'entends. Je me demande s'il est sérieux ou bien s'il s'agit simplement d'une plaisanterie. Mais je n'ai même pas le temps de lui poser la question, il poursuit :

« L'objectif de cette antenne est d'offrir des débouchés au jeunes de l'institut de Saly, c'est pourquoi j'ai besoin d'une personne comme toi, qui connaisse le Sénégal et le football sénégalais. Mais, depuis ses origines, le projet a évolué. Nous avons compris qu'ici aussi, avec la crise actuelle et le taux de chômage élevé, particulièrement dans la région de Manchester, le football peut être un vecteur d'éducation pour les jeunes. Or, tu le sais mieux que moi encore, le système de formation anglais est en panne. Par ta connaissance de la formation anglaise, tu es la personne parfaite pour nous aider à mettre en place un club formateur permettant aux jeunes de la région de trouver une place dans le football professionnel.
- Je suis très honoré Patrick, mais je n'ai jamais occupé ce poste et je n'ai aucune compétence dans ce domaine. Ma carrière dans le football s'est vite arrêtée alors que j'étais au centre de formation du RC Lens, et depuis je n'ai entraîné que les équipes jeunes d'un club amateur de mon quartier, dans le sud de Londres. »

Patrick semble être bien trop optimiste quant à mes compétences. C'est une lourde responsabilité qu'il me propose. D'un autre côté, mon père serait fier de me voir occuper ce poste. En serai-je vraiment capable ?

« Junior, je t'assure que ma proposition est sérieuse, je ne serai pas venu jusqu'ici sinon. Tu connais le milieu du foot, tu connais le Sénégal aussi bien que l'Angleterre, tu connais le système de formation britannique, tu es exactement la personne qu'il nous faut. Écoute, je vais te laisser le temps de te reposer et d'y réfléchir. Moi, je suis à l'institut de Saly jusqu'au 17 décembre. Je te laisse mon numéro, s'il te plaît, rappelle-moi dans quelques jours pour me dire ce que tu penses de mon offre.
- D'accord, je vais y réfléchir. »

Il me salua, partit dire au revoir à mon grand-père et repartir aussitôt, me laissant là, perplexe, perdu, complètement sonné.

« Qu'est-ce qu'il t'a dit ? Me demande Bakary qui venait de me rejoindre.
- Il… Je… c'est… tu…. Tu ne me croiras jamais Bakary ... »

Effectivement, Bakary a eu du mal à me croire. Quant à moi, il m'a fallu plusieurs jours pour me remettre de cette visite. Mais aujourd'hui, la perplexité a laissé place à la curiosité. Où Patrick Vieira compte-t-il implanter son club exactement ? Comment compte-t-il faire, créer un club de A à Z ? Ou bien a-t-il eu une proposition pour fusionner avec un club existant ? Dans quelle compétition sera inscrite l'équipe senior ? Où va-t-il trouver des joueurs pour la première saison ? Qui sera l’entraîneur ? Qu'attend-il de moi ? …

Il faut que je l'appelle pour avoir des réponses. Je ne me sens toujours pas à la hauteur des espoirs qu'il a placés en moi, je ne me fais pas d'illusions, mais quelque chose m'attire malgré moi. Peut-être mon désir profond de me rapprocher de ce que mon père aurait souhaité que je sois…

« Allô, Patrick, bonjour, c'est Junior. J'ai bien réfléchi, j'aimerai que tu m'en dises plus au sujet de ton projet.
- Bonjour Junior, je suis content que tu m'appelles. Écoute, viens ici à l'institut, tu pourras voir de plus près notre fonctionnement et notre philosophie, et je t'expliquerai plus en détail notre projet Diambars UK. »